Ville berceau des poètes, de Valéry à Brassens, Sète vibrera bientôt au diapason des « Voix Vives » de la Méditerranée. Pour la deuxième année consécutive, la ville montpelliéraine accueille du 22 au 30 juillet prochain la quatorzième édition du festival de poésie.
Ils viennent de Tunisie, d’Espagne, des Balkans, des Emirats arabes unis, d’Iran ou de ces « autres méditerranées que l‘histoire a exportées dans le monde » - l’Afrique de l’Ouest et l’Outre‐Atlantique notamment. Cette année, ce sont 99 artistes issus de trente-trois pays différents qui transmettront leurs textes dans leur langue d’origine, en français et même en langue des signes. Parmi eux, les plus grandes voix de la poésie contemporaine : Sapho, la marraine du festival, Salah Stétié, président d’honneur du comité international de coordination ainsi que la tunisienne Moncef Ghachem, l’espagnol Antonio Gamoneda, le libanais Abbas Baydoun, l’irakien exilé Salah Faik, l’italien Roberto Mussapi ou encore l’israélienne Tal Nitzan, connue pour son militantisme en faveur de la paix. Tout au long des huit jours du festival, près de 60 manifestations quotidiennes animeront la ville : des lectures visuelles et sonores, des récitals à la chandelle ou à bord de voiliers, des débats, des spectacles, des contes à la belle étoile, des concerts de jazz, de harpe ou de violoncelle... Les festivaliers, qui étaient 32 000 à faire honneur aux « Voix Vives » l’an passé, pourront également découvrir la chanteuse Juliette dans son « No Parano Show » ; écouter Carole Bouquet réciter les Lettres a Genica d’Antonin Artaud, Fanny Ardant, qui interprétera son adaptation de Navire Night de Marguerite Duras ou encore Arthur H, dans une lecture musicale de L’Or noir (avec des textes d’Aimé Césaire, Edouard Glissant, James Nöel, Daniel Maximin, Dany Laferrière). Enfin, en cette année marquée par les révolutions du printemps arabe, les organisateurs programment également une rencontre journalière, intitulée « Rives Sud », autour de la question suivante : « que signifie être poète aujourd’hui, dans une Méditerranée en mouvement ?

Maram al-Masri à Sète, chants de peines et d'amour
Alain-Jacques Lacot

La poétesse née en Syrie, invitée au festival des "Voix vives" à Sète, peint la douleur et la passion. Tandis que Les Âmes aux pieds nus rapporte avec justesse et pudeur les souffrances de femmes rencontrées en banlieue parisiennes, Maram al-Masri évoque dans Par la fontaine de ma bouche les grâces d'un amour charnel.
Une voix, nue, humaine, libre et souveraine, s’est levée : une voix de femme. Cette voix, c’est celle de Maram al-Masri, poète née en Syrie à Lattaquié en 1962, exilée à Paris depuis 1982. Mais ce n’est pas de cet exil-là que parle Maram al-Masri, pas non plus des femmes d’un Orient fantasmé. Avec Les Âmes aux pieds nus , elle rend la parole à des dizaines de femmes de tout âge et de toutes conditions à qui on l’a confisquée, exilées dans leur propre vie car victimes de la violence qui leur est faite par de trop nombreux bourreaux domestiques. Ce pourrait être un cri de révolte ou une longue plainte, la poète pourrait user d’effets poétiques et lyriques, d’emphase et de grandiloquence, c’est tout l’inverse. Le vers est bref, clair, sobre, pour dire l’émotion contenue, la langue est celle d’un quotidien économe de mots, et c’est, justement, de cette économie et de cette pudeur retenue que naissent la justesse des images et la puissance du poème. Ces intimes blessures béantes, Maram al-Masri les recouvre avec délicatesse d’un voile de tendresse et les soigne d’une caresse d’amour, car, même dans le manque et la douleur, c’est bien l’amour que dit la poète. C’est encore une femme que chante Maram al-Masri dans Par la fontaine de ma bouche , une femme aimée d’un amour charnel. Il n’est question ici que de corps à corps, de caresses, de passion et d’émotion, d’érotisme enfin. Ce sont les chants d’amour du Cantique des cantiques glorifiant le ventre, les seins, le sexe, exaltant le désir, le plaisir et la jouissance. Maram al-Masri nous parlerait-elle des amours saphiques et, de la fontaine de sa bouche, seraient-ce les mots de Lesbos qui couleraient ? Oui, à condition d’entendre que c’est avec La Poésie que Maram al-Masri fait l’amour. Oui, si l’on comprend qu’elle se donne tout entière à la poésie en même temps que la poésie s’incarne en elle et par elle, dans une relation égalitaire. Sapho, oui, plutôt qu’Ishtar ou Shéhérazade, auxquelles elle se réfère pourtant, ou plus exactement une Louise Labé de la modernité, renouant avec le lyrisme incandescent de la poète de l’Antiquité et, comme elles deux, nous rappelant que la poésie est féminine.

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