Ali Shargawi

Mis en français
Par
Siham Bouhlal

L’ETRE-LUMIERE

LuiAli Shargawi
Goutte de lumière
Tirant ses jours par la brise des astres
Les roulant dans l’ombre de la terre

Lui
Corps des rayons de la langue
Dans ses doigts naît la lumière fraîche mélodie
Il la nourrit du lait des nuages, d’un rameau de culture
Songe qui regarde l’impossible
Et du fruit de l’exil

Lui
Pays pour les mots de prophètes revêtus de l’éclat d’éternité
Entre herbe et rivière
Couvre ses jours d’un voile
A lui s’ouvre comme la fleur lunaire l’âme des collines
Et étale ses feuilles
Pour tous ceux-là qui prient
Entre les têtes des épis
Et les baisers qui s’élèvent voie lactée dans le délire des nuages
Être-lumière, clarté dans la clarté
Cache ses attaches avec le nectar du Temps

Il s’étend
Encore
Et puis encore
Comme un jardin dans la hauteur de l’âme
Nous rencontrerons peut-être ses traces dans l’espace de l’allusion
Au creux de la métaphore
Ou au détour des ruelles
Peut-être nous rencontrerons-nous
Puis peut-être…
Et puis…
Là il est dans notre sang
Se promène comme le vent dans le printemps de nos éléments
Un prêtre comme une question voulant percer le secret du lac
Prêtre dans les grottes de l’espace
Sa barbe, d’eau
Il appartient aux fleurs de ses sens
Possède tout, ici et là-bas
Mais ne se rattache à rien.

******

LA MER NE PLIE PAS DEVANT LES BATEAUX

Cette vague, mots jaillis de cierges, jette ses tresses sur tes poignets
Jardins qui versent dans ta sobriété un vin d’une lecture glacée des flancs
Elle boit à tes lèvres l’innocence d’une mélodie, rameau des airs
Peut-être
Dans leur douceur elle taille un mawwal, voyage dans le désordre de merveilleux sanglots
Pousse sa féminité à travers la tempête des yeux, celle des fraîches pupilles de la folie et une autre dans les fragments de ce soleil de sang
Peut-être
Se dira en ta paume une chose qui n’appartient pas à la parole
Son sanglot baigné de rêve violera le silence de ton printemps
Et ouvrira dans le tumulte de tes sens le matin des villes
Tu es Mer
Aux bateaux ne t’excuse pas
De briser les vagues
Ou de ta folie au moment de la jouissance
Tu es Mer
La géographie de l’eau ne pliera pas devant les astres
Tu es Mer
Aux étranges traits
Enflammée de lettres ardentes
Tu ondules comme l’étendue dans une agile rosée
Sois imagination galopante
Question là où toute réponse est froide
Ni secret ni dissimulation
Peut-être
Sur tes lèvres souffrent les ports
Les adresses cherchent en toi leur nom
Leurs membres s’agitent entre tes mains sans trouver repos
Tu deviens vent au contact du vent
Eau au contact de l’eau
Et dans le rêve, rêve
Tu plies comme le matin mais ne casses pas
Tu es Mer sans rivage
Alors ne t’excuse pas.

******

SOURIS A LA VIE

Souris au roucoulement du matin
Qui pénètre le sanglot de la terre
Gémissement des canaris avant le cri de l’aube

Souris à l’air qui s’offre à toi
La voie lactée est en ta paume
Lis son histoire équinoxiale entre les dédales des lettres
Et la graine qui nargue les cellules des arbres

Souris à la prière de la fécondation
Dans tous les recoins de l’espace
Elle répand ses astres dans nos sens
Ses barques ne se lassent pas d’entrer en voyage

Souris à l’assèchement des blessures
Prêtes à être démembrées
Brisant, dans la grenade du cœur, le son de la corde

Souris à la colombe des lamentations
Souris
A une main dans le noir
Qui secoue, par des berceuses, le lit de la clarté
Et l’emplit de l’éclat des prières des prophètes
Entre la Mecque, Jérusalem et le Mont Sinaï
Elle tranchera les noms de cette nuit de pierre

Souris
A l’air cubique
Qui rentre dans les Casbah encerclées de militaires
Aux intonations des cordes
Qui interprètent la pureté de la sourate Yassin
Tu verras la rose de l’harmonie
Reformuler les contours des cellules
Pour les ajuster à la cérémonie de la paix
Souris
Souris
Comme si ta vie se nourrissait
De pâturages de sourires.

******

Al MÂWARDI

Chargé de jours à venir
Ta parole entravée tel le frémissement des grenades d’une jeune paysanne secouant ce basilic entre poitrine et nombril ; depuis les étincelles de l’innocence jusqu’au fruit de la vipère. Elancée tel des pétales de lotus, ne prenant racine ni dans l’eau ni dans la terre.
Plein de tourments propres à ceux qui oscillent entre secret ouvert comme la blessure d’une question aux lèvres brisées et illusion clamée
Les mots des grands ne sont guère semblables à ceux des vils, lorsqu’ils emplissent un caveau
Et la mélodie de l’émoi ne sait pas le sens de la vie du bleu

(L’illusion est une demeure faite de feuilles de cristal
L’illusion est une histoire, comme si l’angoisse prêtresse avait déclaré sa propre naissance
L’illusion
Celui qui marche vers elle maintenant
Dans la pomme de l’instant se noiera)

Empli du son de ce joueur de flûte qui sombre dans le feu profond
Tu réfléchis l’éclat des pierres de la couronne sur les roues de la racine
Qui le projettent dans les veines d’un palmier stérile planté dans l’inconnu
Retenu tel une momie sur un lit de mirage
Tu ne peux ôter les couleurs du Temps de ton silence par le gras de ce vent nomade comme une cigogne
Tu ne peux blesser le silence de la prêtresse dans le secret de ta blessure (Dépourvu de volonté entre le matin de la hyène et l’aube de la lionne)
Tu ne peux moquer les larmes profondes de qui s’est longtemps absenté de ces jeux de la place publique
(Quant ils l’ont ramené vers le réveil, il est mort)
Impossible
Celui qui rêve de la rose ils l’ont nommé « épine »
Celui qui veut faire gravir le rêve au-delà du rêve
L’ont appelé « déchu dans les bras du sel »
Celui qui revêt ce rêve, l’absence le guette à travers les yeux d’un compagnon
Il a accusé la branche d’avoir rassemblé ses feuilles
La mer d’avoir fabriqué des vagues rebelles
C’était un camarade
Qui ne savait pas ce que voulait dire le cri des grains de poivre dans son pas
Et n’avait saisi que le texte brillait seul sans marges
……………………………………………………………..
La cellule était plus claire
Que notre monde ouvert sur les cadavres de l’absence
……...……………….
Plus douce que la rose du Nourouz du réveil
Etait…

Ô Mâwardi
Quand tu partageras la vie des filles de palmiers
Tu sauras que les arguments de la rue, ceux qui sortent maintenant de la mosquée sont habités par une histoire cariée depuis les dansantes années cinquante dans la tristesse de la fête jusqu’au trône de l’an 2000
Tu les connaîtras l’un après l’autre
Les connaîtras
Les roses de la démocratie ne sont que mensonges aux vertes tiges
Où joue le désir de l’épine pour l’épine
Et conspirent les tenants de l’illusion sur des fauteuils fantômes
Sacralisés par de jeunes gens occupés à fabriquer des actes imaginaires
La chaire n’a fait qu’inscrire les dates de mort
Et le pacte n’est que bride de nuit ouverte sur les rendez-vous de rue
Le chant qui célèbre l’harmonie de la mort et des cadavres est inscrit dans les contes anciens
Ô Mâwardi
Ta prière au sein de la rue est un nid de seigneurs corrompus
Connais ces infâmes un par un
Ils ont assassiné les fils du pas sur la mélodie de l’inconnu
Inventé un faux matin sous forme d’un éveil annihilé
Lavé les mains après les élégies des enterrements
Ils ont…
Comment sortiras-tu de l’obscurité de l’innocence vers cette angoisse
Noire, emporté comme des poissons aveugles
Vers la ligne d’un pêcheur aveugle ?
Que seras-tu alors que tous ceux-là ravis par l’illusion
Tournent maintenant autour de ta demeure avec des cadavres tissés
Dans les flammes du passé
(Tu leur verses le thé de l’amour et eux des rendez-vous de coloquinte)
Ton cœur chargé par les basilics de la faim
Et ton salut excédé par les lamentations du présent
Comment expliquer le basilic à qui ne connaît les mystères du sanglot ?
Comment seras-tu et pourras-tu t’élever
Comment disperser le vent pour que ton âme s’élève haut comme les cierges du premier frémissement dans l’eau de la création ?
Comment verras-tu ce que la rue ne voit ?
Tu sais
Que la racine sans le sel du verbe ne dévoilera à la terre que les cris de sa douleur
Et les feuilles aiguisées boiront la rivière de l’extase
Ô Mâwardi
L’ordre de la nuit ne te donnera que le bêlement de l’obscurité
Jamais ne te donnera la prière du soleil sur la poitrine de l’étoile
L’ordre de la nuit ne te donnera que la mort gratuite sur les rives du mot
Ils t’ont saigné de la tête jusqu’à la caverne du fond
T’ont enduit d’une amère promesse
Et puis…
Attends-tu l’ardeur au cœur de l’enflure ?
Ils ne te donneront pas le salut de l’alif lorsque tu tailleras dans ton épaule la chemise de l’aube
Et ne te serviront pas le premier vin de la rivière qui se déverse depuis le sein généreux
Jusqu’au son des sentiers de pas
………………………………………………………………………
Es-tu maintenant répandu sur le corps de la rue
Comme une écorce que les passants traversent ?
Ce chemin ne t’a point interrogé sur l’autre rive
Ordre n’a pas été donné pour que tu pénètres la matrice du jeu
Le plus jeune d’entre eux
Cherche une poitrine que les mains n’ont pas retournée
Et une nuée d’amour que la pierre maîtresse des fils de l’eau n’a point touchée
Ô Mâwardi
Si l’astre du moment vient à toi place-le dans l’œil des arbres
Même s’ils te mangent cru
Donne-leur tes bénédictions
Ouvre ton cœur même s’ils t’injurient
Car tu es l’instant avant sa naissance
Tu es le jour de perle
Ô Mâwardi
Les uns démoliront ta maison
Les autres étoufferont tes graines avant les débuts de l’année
D’autres ô Mâwardi
En marge dénatureront l’histoire de ton enfance de corail
Peu importe qu’ils te connaissent
Peu importe qu’ils te calomnient
Car tu es le jour du réveil entre deux obscurités
Tu es ce rond qui brille parmi les chiffres.

On dit d’Al Mâwardi :
-Il est aussi franc que la langue du couteau courtisant le fruit de l’amour
-Il tend les lettres de ses mains et écume ce qui demeure sur les doigts, il est le Saint-Satan
-Il aborde le fleuve de la joie par une danse sur les trottoirs du Temps en partance
-Il est le Temps marchant sur la poussière de l’illusion
-Nous devons arracher Al Mâwardi par la tête car s’il demeure ici le son de la tranquillité n’habitera pas nos maisons et le peuple excitera les crocs de l’ours contre le trône des savants
-Ne partagez avec Al Mâwardi ni repas ni chanson ni une danse de rêve dans la cour ou dans les assemblées du quartier
-Si Al Mâwardi vous apporte l’amour, méprisez-le
-Celui qui arrache Al Mâwardi par le cœur et les branches de la tête rentrera au jardin du Paradis sans aucune question
-Faites confiance au lait des épines mais pas aux battements du cœur d’Al Mâwardi.

Alî Shargawi