Nils C. Ahl

Alors qu'on annonce le lauréat du prix Nobel de littérature 2011, la clameur qui saisit une partie de l'assistance à Stockholm le prouve : ce n'est pas une surprise. Plutôt un soulagement. Car le nom de Tomas Tranströmer revenait avec insistance depuis plus de trente ans.
 
Jamais récompensé, finalement, en dépit d'une réputation et d'une influence qui excédent largement les frontières suédoises. Ses très nombreux prix et ses traductions dans le monde entier en faisaient déjà l'un des poètes les plus reconnus de son époque. De la Chine aux Etats-Unis, en passant par l'Allemagne, l'Italie, et évidemment la Scandinavie : on sait bien qui est Tomas Tranströmer. Il n'y a guère qu'en France, que son nom n'évoque pas grand- chose, malgré sa très belle traduction par Jacques Outin pour Le Castor Astral depuis plus de vingt ans – et sa reprise en édition de poche par Gallimard.
 
C'est il y a presque soixante ans, en 1954, que Tomas Tranströmer publie son premier recueil, sobrement intitulé 17 Poèmes, suivi d'un autre quatre ans plus tard, Secrets en chemin. Le jeune homme, né en 1931, a déjà trouvé son rythme, une grande partie de sa voix poétique –. A l'époque, pourtant, il n'est encore qu'un étudiant à l'Université de Stockholm, dont il sortira diplômé de psychologie en 1956. Ses poèmes brillent par une sobriété rare, une délicatesse de perceptions et d'impressions intimes, une admirable richesse métaphorique : il est rapidement remarqué.
 
Cette éclatante blancheur et ce goût de la langue lui seront parfois reprochés par des poètes plus jeunes, dans les années 60 et 70. Au manque d'engagement ou d'implication politique dont on l'accuse, sa carrière de psychologue, auprès de jeunes délinquants et de populations défavorisées ou handicapées, répond à sa manière. Dans un premier temps.
 
POÈTE DE NOTRE TEMPS
 
Car la simplicité est un leurre chez Tomas Tranströmer. Ce qu'elle dit, c'est qu'il est un poète de notre temps. Qu'il prend le train et le métro, dort parfois dans des chambres d'hôtels, regarde par la fenêtre, visite des églises, écoute de la musique, contemple la nature et voyage beaucoup. Mais l'ordinaire devient extraordinaire dans la langue du poète. Des héritages surréalistes peuplent ses images, des vertiges métaphysiques, aussi – et, plus fort encore, ses silences, ses blancs sont d'une exceptionnelle densité. Bientôt, la langue de Tomas Tranströmer explore d'autres rythmes et d'autres dispositifs, cependant invitant de plus en plus souvent la prose et le verset dans sa poésie. Visions Nocturnes et Baltiques sont parmi ses recueils les plus connus, ils datent de 1970 et 1974. A ce même moment, son ami, le poète américain Robert Bly, le traduit pour la première fois en anglais.
 
Après un accident vasculaire cérébral qui le laisse en partie paralysé et aphasique en 1990, le poète qui vient d'être récompensé par le prestigieux prix du Conseil Nordique (Pour les vivants et les morts, 1989), ralentit sa production. Les silences s'agrandissent, la lumière devient plus intense, parfois plus grave. Des premiers haïkus apparaissent dès Funeste Gondole (1996), avant de contaminer ses derniers travaux : Poèmes courts (2002) et La Grande Enigme (2004). Admiré par Joseph Brodsky, Bai Dao et de nombreux poètes de langue anglaise, sans compter sa renommée dans les pays scandinaves, Tomas Tranströmer n'était assurément pas le nom le plus clinquant parmi les favoris, mais il est un prix Nobel indéniablement littéraire. Un grand poète.

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