Par Tristan Savin

Une nouvelle édition des oeuvres de l'auteur des Chants de Maldoror mise à jour et complétée.

"L'auteur est mort dans un cabanon et c'est tout ce qu'on sait de lui", écrivait Léon Bloy en 1890 à propos d'un "monstre de livre" publié dix ans auparavant à Bruxelles mais initialement paru, anonymement et à compte d'auteur, en 1868 : Les chants de Maldoror. Passé inaperçu, ce chef-d'oeuvre en prose reparaît d'abord en 1869 sous un pseudonyme, celui du comte de Lautréamont. Pour les rares lecteurs de l'époque, la découverte de ce texte inhabituel, inclassable, voire scandaleux, est un véritable séisme. Car Lautréamont interpelle les hommes et vomit le Tout-Puissant, dans un style fulgurant, d'une rare érudition. "Quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer et sans danger", prophétise-t-il dans l'introduction de son chant premier. Son patronyme est découvert en 1870, quand le Franco-Uruguayen Isidore Ducasse publie ses Poésies avant de disparaître, sans raison connue, la même année, à l'âge de vingt-quatre ans.

"Isidore Ducasse. Ces quelques syllabes suffisent à me réconcilier avec moi-même", soupire Philippe Soupault des années plus tard. Avec lui, les surréalistes vont travailler à réhabiliter le poète maudit, dont ils feront leur précurseur et un emblématique "cas littéraire absolu". André Gide ajoute sa voix au concert de louanges en 1925 : "Il est avec Rimbaud, plus que Rimbaud peut-être, le maître des écluses pour la littérature de demain."

On pourrait se demander ce qu'apporte une nouvelle édition de Lautréamont en Pléiade. Mais la précédente, curieusement couplée avec les oeuvres de Germain Nouveau, remonte à 1970. Permettre de découvrir - ou redécouvrir - un génie encore trop méconnu est une réponse suffisante en soi.

Cette nouvelle édition présente Les chants de Maldoror, Poésies I et II d'Isidore Ducasse, sa correspondance et des textes qui pourraient lui être attribués. Elle y ajoute, et c'est là son autre intérêt, d'abondantes "lectures", à savoir des articles, essais ou commentaires d'écrivains, parmi lesquels André Breton, Louis Aragon, Paul Valéry, Antonin Artaud, Henri Michaux, Julien Gracq et JMG Le Clézio.

Tous ces textes, brillants, éclairent l'oeuvre d'une nouvelle manière. Ils donnent aussi à réfléchir sur l'utilité de la critique littéraire et la portée d'une écriture. Grâce à leur réunion, on réalise que la fine fleur de la littérature française du XXe siècle n'a cessé de rendre hommage à l'un de ses plus grands maîtres.

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24/12/2009

Résumé du livre

Combien de lecteurs Lautréamont a-t-il touché en son temps ? Une dizaine peut-être. Ouvrages non diffusés, mort précoce : les conditions d'un oubli définitif étaient réunies. Il y eut pourtant renaissance, grâce à des entremetteurs avisés, et à des rééditions, comme celle des 'Poésies' dont André Breton alla recopier à la Bibliothèque nationale les seuls exemplaires alors connus. Au fil des ans, le nombre des lecteurs s'est accru. Et parmi eux des écrivains, accompagnateurs distants ou prosélytes inconditionnels, ont reconstruit Lautréamont en édifiant leur oeuvre propre. C'est pourquoi ce volume leur fait place : il propose une édition nouvelle de l'oeuvre - parue sous l'anonyme en 1868 (' Le Chant premier'), sous pseudonyme en 1869 (' Les Chants de Maldoror' par le comte de Lautréamont), sous patronyme en 1870 (' Poésies I' et 'Poésies II' d'Isidore Ducasse). Puis, dans un dossier de 'Lectures', l'ouvrage donne la parole aux écrivains : les premiers médiateurs, les surréalistes ensuite, pour qui Lautréamont représente le phénomène littéraire absolu, et enfin tous ceux qui, de Césaire à Le Clézio, de Ponge à Sollers, virent en Ducasse une pierre de touche.

Lautréamont, Oeuvres complètes
Nouvelle édition établie par Jean-Luc Steinmetz.
Paris: Gallimard,
coll. "Bibliothèque de la Pléiade", 2009
848 p