Abdeljaouad El Aoufir

Traduction: Nafiss Mesnaoui

Ver de terre
grignotant les poèmes
du crâne
mot par mot
mes félicitations
pour toute cette opacité
à toi seul

ver de frayeur
qui ne se contente
de nul poème
l'ayant brossé

ver de bahut
désagrégeant les
commémorations

ver de mer
faisant sortir les poissons
pour une flânerie
sur terre aride

ver des forces occultes
s'habillant de tous les meubles
du logis

ver s'infiltrant
du grincement des dents
de ceux naufragés de la nuit

ver s'équipant de la nuit
afin de se targuer
de ce qui est Néant

ver chapeau
s'envolant lointain
d'une fissure sur une porte

ver de froidure
plus dur que la patrie

ver espiègle
venant via le crâne
avant le rendez-vous

ver de sang
buvant un pot
emplissant la chambre
de cauchemars

ver que j'ai négligé
dans une graine de figue
puis m'a négligé
dans tous les cafés du cosmos

ver narcissique
publiant ses photographies d'identité
dans les journaux
continuellement

ver
devenant
ma langue

ver dérobant les pensées
avant de passer par ma tête

ver d'arbre
- devenant son ombre -
qui est tombé dans le verre
alors me découvrant forêt

ver bouffon
traînant mon âme
lentement
de cette feuille

ver bourré
de trains

ver de lampe à gaz
nous procure nos traits
sur les murs
des cellules

ver de contrariétés 
que j'ai oublié
sur l'écritoire
puis m'attaque
au boulevard
sans pitié

ver de sagesse
démolissant le monde
pour enfanter le monde
cependant oublie
de m'enfanter à nouveau

ver
se métamorphosant
en papillon
pour effacer
de son corps
tous les exiles

Noir étincelant

Tableau premier
Poète escaladant le mur de sa chambre afin d'attraper les étoiles s'envolant de sa feuille d'ébène.

Tableau deuxième
Déflagration d'un bâtiment au quartier des poètes.
Origine de la déflagration : poète ayant couché avec ses poèmes. 

Tableau troisième
Enfant qui se joue des dieux… soudain il brise l'échiquier recelé dans ses yeux.

Autre tableau
Découverte de feuillets noirs sous les débris.

- Il ne faut ménager ses feuillets puisque notre ami a été négligent.
-  Ecoute! Sa voix tonne encore à partir de ces gouttes de pluie d'ébène.
-  Ils murmurent qu'il n'est mort.
- Regarde! L'espace de notre chambre se garnit de papillons noirâtres toutes les fois que nous tentons de déchiffrer les feuillets.
- Dans mes doigts ils grelottent… ils veulent nous confier quelques méthodes.
-  Le silence de ses feuillets communique quelques méthodes.
-  Regarde ces feuillets enfanter café exil  poubelle.
-  Emane d'eux un arôme d'ébène… je parviens à le distinguer!
-  Notre ami se met vraiment devant l'évasée nous scrute.
-  C'est l'évasée par sa grandeur.
- C'est l'évasée marchant sur l'évasée… portant des lunes d'ébène.
-  De l'éclat de son écritoire saute un écureuil.
-  Le jardin de sa parente, le visitait-il encore?
- Assurément. Puis il continuait de pourchasser les papillons noirs.
-  Il cherchait  la sagesse dans un grain de sable
-  Le cosmos est ce que signifiait pour lui le grain de sable.  
-  Mais il se préoccupait de l'autre face du monde.
- Il cherchait un univers où il ne mourrait vraiment et où il ne naîtrait  vraiment.
-  Le néant?
-  Il enviait le flacon de vin pour son  vide.
-  Il n'avait pas d'amis.
-  Dans le miroir, il ignorait son vrai visage.
-  Je l'ai vu tant de fois réaliser des glaces puis les anéantir.
-  Ils disent qu'il a volé sa musique aux dieux.
-  Non, ce sont les dieux qui ont fait cela bien sûr.
- J'ai vu son chapeau l'embrasser… et j'ai vu le ciel se pliait devant lui… il parlait aux oiseaux et aux lunes… et prenait l'astre entre ses deux paumes.
-  Il était dément.
-  Quand on l'a enterré il souriait vraiment.
-  Attendu qu'il s'est débarrassé de la gravité de sa dépouille.
-  Maintenant, il peut s'envelopper dans le blouson de la poésie. 
-  Le Ciel pleuvait des faces réduites.
-  Sonnent les glaces dans la cité.
-  Il est là dans le temple en train à se brûler le visage avec les encens.
-  Qu'allons nous faire de ces feuillets?
- On va les enflammer bien sûr.
-  Faut que les gens les lisent.
- Si on les enflamme le monde baignera dans un infini de limpidité.

Les papillons envahissent l'univers, d'eux surgit un noir étincelant.

 

Inédit Nouveau, N° 190

Né en 1980 à Rabat, Abdeljaouad El Aoufir poète marocain d'expression arabe a écrit et publié ses premiers textes en français. Il est rédacteur d'un supplément culturel d'un hebdomadaire marocain. Il a traduit en arabe, René Crevel, Jean-Claude Izzo, Marlena Braester, Vigée Claude et d'autres poètes, surtout de l'Amérique du Sud. El Aoufir a un recueil de poèmes intitulé Noir étincelant.

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