Alaa El Aswany

Alaa El AswanyPour sa cinquième édition, du 10 au 14 juin, le festival Le Marathon des mots mettait à l'honneur la littérature égyptienne. L'occasion de rencontrer Alaa El Aswany, auteur à succès de L'Immeuble Yacoubian , et peintre critique de son pays.

Propos recueillis par Sophie Pujas

lepoint.fr : Avez-vous le sentiment d'une vitalité particulière de la fiction contemporaine dans votre pays?

Alaa El Aswany : C'est un grand jardin, la littérature égyptienne, avec beaucoup de beautés littéraires très diverses... Je ne peux pas dire que j'ai des préférences. J'essaie d'écouter toutes les voix...

lepoint.fr : Vous vous sentez proche de l'héritage de Naguib Mahfouz ?

Alaa El Aswany : Je ne peux pas concevoir un honneur plus grand que de lui être comparé. Je le connaissais, parce que c'était un ami de mon père. C'était une personne exceptionnelle, avec un grand esprit d'ouverture, et très modeste. Il m'a vraiment inspiré et j'essaie d'appliquer les leçons que j'ai reçues de lui. S'il avait été occidental, je pense qu'il aurait eu beaucoup plus tôt le prix Nobel, qu'il n'a obtenu qu'à la fin des années quatre-vingts : mais le Nobel est un prix très occidental... Il a fait deux choses rarement réalisées dans l'histoire de l'art par un seul individu : il est le fondateur du roman moderne en arabe, et c'est lui qui a fait évoluer ce roman pendant quarante ans. Normalement, quand vous êtes un pionnier, cela suffit : aux autres de faire évoluer la forme...

lepoint.fr : Dans la préface de J'aurais voulu être égyptien (Actes Sud), votre dernier recueil de nouvelles, vous évoquez vos démêlés avec l'Office du livre égyptien, qui a empêché la publication de votre premier roman au début des années 1990. Qu'en est-il de la censure aujourd'hui?

Alaa El Aswany : Je ne pense pas que la situation se soit améliorée, même s'il n'y a pas de censure officielle, seulement des ouvrages confisqués ou bloqués. Ce n'est pas un problème de personne mais de régime. Tant qu'il ne sera pas démocratique, ce ne seront pas les plus qualifiés mais les plus fidèles qui auront les postes.

lepoint.fr : Vous défendez une conception engagée de l'écriture...

Alaa El Aswany : Comme intellectuel, pas comme écrivain. Je sépare les deux. Mon rôle comme romancier est d'écrire de bons romans. Garcia Marquez a dit dans les années soixante, alors que toute l'Amérique latine était en lutte : "Le rôle le plus révolutionnaire d'un romancier est d'écrire un bon roman." Cela me semble très juste, sinon on confond tout. Par ailleurs, j'écris des articles pour la démocratie, j'appartiens à des organisations, mais comme citoyen égyptien. Je suis d'ailleurs très optimiste. L'Égypte est très proche d'un changement positif.

lepoint.fr : Avez-vous le sentiment de dresser un portrait de l'Égypte et des communautés égyptiennes contemporaines?

Alaa El Aswany : Ce sont des scènes égyptiennes, pas l'Égypte. On ne doit pas tirer de conclusions générales d'une oeuvre de fiction. Je pars de scènes, de sentiments, de moments, de personnes.

lepoint.fr : Votre dernier livre publié est un recueil de nouvelles. Votre approche est-elle différente quand vous produisez des romans comme L'Immeuble Yacoubian ou Chicago?

Alaa El Aswany : C'est un art absolument différent. La nouvelle, c'est comme la poésie, une inspiration. Elle tombe sur la tête comme une pomme. Le roman, c'est différent, je travaille chaque jour dessus pendant deux ou trois ans pour le faire sortir de mon coeur et de ma mémoire.

lepoint.fr : Vous parlez couramment le français. Quelle a été pour vous l'influence de cette langue?

Alaa El Aswany : Immense. Être francophone a été une grande chance pour moi. J'ai été influencé très tôt par la littérature française. La première fois que j'ai étudié les Caractères de La Bruyère, j'ai compris qu'on pouvait dessiner un visage avec les mots. La langue française est beaucoup plus qu'une langue, c'est une culture. Il y a des langues qui sont seulement un moyen de communication, et d'autres qui contiennent une vision du monde. La culture française a énormément influencé la culture égyptienne. Être francophone en Égypte, jusqu'à aujourd'hui, voulait dire venir d'une grande famille. J'appartiens à la cinquième génération francophone de ma famille. Mon fils et mes deux filles vont dans des écoles françaises. Jusqu'à la fin des années soixante-dix, les francophones égyptiens appartenaient à la classe la plus éduquée et la plus riche. Aujourd'hui, ils sont seulement les plus éduqués. Parce que les plus riches n'ont plus le goût de la langue française mais plutôt une fascination incroyable pour l'éducation américaine... Ce sont deux classes sociales avec deux visions du monde très différentes.

lepoint.fr : Pouvez-vous me dire quelques mots de votre prochain projet?

Alaa El Aswany : C'est dangereux ! Ce qui me pousse à travailler pendant deux ou trois ans, c'est la conviction que j'ai une idée très forte, une idée géniale. Si je vous la dis et que je lis sur votre visage que ce n'est pas grand-chose, je risquerais d'être vraiment triste et d'abandonner le travail... Ce que je peux vous dire, c'est que j'essaie de ne pas me répéter. Cela se passera en Égypte, mais cette fois dans les années quarante. J'essaie sans cesse de découvrir des voies, des routes que je n'ai jamais explorées avant...

J'aurais voulu être égyptien , traduit de l'arabe (Égypte) par Gilles Gauthier, Actes Sud, 2009. 208 p.

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