Saad Sarhane

Saad SarhaneImaginez un soleil brûlant pillant rivières, ruisseaux et canaux pour les enfouir sous des nuages voraces qui ne lâchent leur pluie qu’au-dessus des mers et des sables, et qui pourraient – au gré de leur ingratitude – donner des pluies loin de la Terre.
Imaginez une sècheresse incommensurable semblable au grand Déluge et rien qui ressemblerait à la fameuse Arche.
Imaginez des multinationales faisant des forages même en mer pour chercher de l’eau.
Imaginez-vous face à des robinets muets : chaque fois que vous les suppliez, ils s’en remettent aux citernes de soif débordant de sifflements.
Imaginez vos maisons totalement sèches, vos yeux pleins de fétus, vos vêtements pleins de la fameuse odeur, la cuisine … les installations d’eau : quelle eau ?
Imaginez un nourrisson léchant  du lait en poudre.
Imaginez un vieillard ne trouvant même pas une gorgée d’eau pour avaler un médicament en cachet.
Imaginez le pot de fleurs qui flétrit dans votre balcon.
Imaginez votre caniche avec sa langue tirée et ses yeux fanés de soif.
Imaginez un amoureux passionné offrant à sa bien-aimée une bouteille d’eau pour la Saint-Valentin.
Imaginez une jeune fille aisée se vantant devant ses petites copines : je me suis lavée deux fois cette année.
Imaginez le son du ruissellement devenu la sonnerie préférée de vos téléphones.
Imaginez une mosquée où on se contenterait – par manque d’eau – de sable ou autre pour faire ses ablutions.
Imaginez un véhicule de pompiers haletant de soif devant un grand incendie.
Imaginez une jeune fille qui fait ses premiers pas en amour avec des rides d’une vieille au quatrième âge.
Imaginez des frères et sœurs se partageant leur héritage en appliquant la Loi de Dieu : au mâle deux bouteilles d’eau et à la femelle une seule bouteille. 
Imaginez que vous consommiez du Coca salé car la société a opté pour l’eau de mer.
Imaginez un jour de pluie et les gens qui ouvrent leur bouche dans la rue comme des oiseaux assoiffés.
Imaginez les arbres décidant de s’abstenir de donner des fruits.
Imaginez des familles s’invitant les unes les autres à des fêtes d’eau, et combien l’on serait heureux de telles invitations.
Imaginez des funérailles où l’on chuchote : quel legs le défunt a-t-il laissé en matière d’eau ?
Imaginez les salles d’eau qui embelliront les boulevards respectables et comment elles seront fréquentées par les familles riches pour boire de l’eau en couleur : les enfants seront tout heureux et peut-être prendraient même des photos en souvenir de ce bonheur qui les comblerait.
Imaginez des Etats se procurant des avions, des navires et des missiles pour défendre leur eau : nombre de soldats périront dans ces guerres, ils mourront de soif.
Imaginez une grand-mère racontant à ces petits-fils l’histoire d’un ancien luxe dit piscine.
Imaginez un corrupteur distribuant, à l’envi, des ‘’pots d’eau’’.
Imaginez une transaction financée par de l’eau.
Imaginez un fiancé qui offre une dot en eau.
Imaginez des campagnes de don d’eau.
Imaginez des agences de voyage organisant des excursions vers l’eau.
Imaginez l’aide en eau qu’offriraient les Etats abreuvés aux Etas assoiffés. 
Imaginez les cascades et les lacs devenus des ‘’légendes d’Anciens’’.
Imaginez le Trésor de la communauté avec l’eau comme provision.
Imaginez les bouteilles d’eau désormais placées dans des coffres-forts avec des codes secrets.
Imaginez l’eau devenue une monnaie forte, très forte.
N’imaginez rien du tout.
Imaginez, seulement, cette dernière partie de la nuit de l’humanité empêtrée dans de tels cauchemars bleus ; et point de gazouillements à l’aurore, point de roses attendant la rosée, point de rosée … rien que halètements, râlements et puis halètements.
Traduit de l’arabe par Mohamed Khmassi


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