Mohamed El Fakhkhari

Au lecteur

La mémoire,
musée où se superposent
les peines de l'humanité.

Jette un coup de coeur
sur ces mots
qui naissent mille fois par jour,
qui meurent mille fois par jour!

Ô lecteur!
n'espère pas les empoussiérer!
n'espère pas la déflagration
des langues!

Laisse au coeur
ce qui appartient au coeur
et à la raison
ce qui appartient à la raison.

C'est ma mémoire,
haleine qui repose en paix
dans le monastère de l'âge.


Mon sonnet

Mon sonnet, fils choyé de l'amnésie!
Laisse-moi asperger de ton vin frais
Les rythmes fanés de la poésie
Qu'ont rayés les plumes de mille traits.

Laisse-moi tordre le fer de ta cage
Et regarder du haut sommet des vers
L'inspiration défiler en images
Comme un bateau près de l'embarcadère.

C'est là que la rime a creusé sa tombe
Sous la rosée d'étincelles qui tombent
D'un endroit escarpé de ton azur.

Plus obéissante qu'un animal
Acheminé vers un autel impur,
Elle meut, pauvre, devant son rival.


Dilemme

Entre les doigts
de l'abstrait
deux cigarettes
en conflit:
l'une se met à cueillir le baiser sur les lèvres
de la clarté,
l'autre se presse de consumer le sens dans le cendrier
de l'ambiguïté.
Laquelle des deux aimera le poète?

Hallucinations

Toutes les âmes fuient le corps
sauf la mienne.
Elle est rebelle et obstinée,
blasphème débridé
sur l’encolure de la léthargie.

Mon corps sadique,
tombeau d’une âme suppliciée
s’accroche aux fantasmes de la malédiction.

Je lui tends la main de la catharsis,
mais mon âme refuse de succomber
aux affres de l’hyperbole.
Pourtant, je sens l’éternité
couler dans mes veines.

A mi-chemin,
entre le corps et l’âme,
je bénis le mal de l’élévation.
A mi-chemin,
entre la terre et le ciel,
je maudis le bien de la divagation.

Litanies sempiternelles,
phobies aquatiques,
hallucinations flegmatiques
où le sens fruste et farouche
se déshabille complètement de la clarté
et patauge folâtrement dans la métaphore.

Les cristaux de l’angoisse
enfilent les détails de l’anomalie.
Les noms de la volupté céleste,
immuables et indélébiles,
se plaisent à graver l’épitaphe de l’aurore.

Je récupère l’euphorie du sens,
je la couds et la recouds
jusqu’à ce que l’hypnose avorte mon âme perdue
dans le labyrinthe de la démence.

Or, le poème refuse de la porter,
car elle est étroite et éphémère
comme le rêve des chimères.

A la divinité masculine de la pluie,
j’ajoute une autre divinité qui convoite
l’ex-voto de la beauté.
A l’humanité mystique de la neige,
j’ajoute une autre humanité qui boite
au seuil de la nudité.

Pour que le corps libère l’âme,
l’agonie boude dans un coin maléfique
au centre de la résurrection.

Le sanctuaire de l’âme
n’accepte plus les adorateurs du sens.
Poètes de damnation,
qui, heureux et malheureux,
raisonnables et irraisonnables,
se jettent mutuellement des boules d’incarnation.
Charisme incontesté
d’une purification au goût de l’exil.
Flocons d’amnésie planant sur les têtes
des princes des nuées.

Quelque part dans la variation,
les détails du malheur sombrent dans la frénésie
et les éléments de mon âme
errent dans les déserts de l’hallucination.

Les pommes de la laideur

Les poètes regardent à l'oeil nu,
Là-bas, au zénith de l'anonymat,
La tranquillité à perte de vue
Prier derrière les Ulémas.

Certains poèmes quoique saugrenus,
De l'ici-bas enivrent le climat
Comme, par un soir d'été imprévu,
L'ennui se fait héros du cinéma.

C'est ainsi que dans un joli éden,
Les pommes de la laideur seront reines
Parmi les fruits de l'imagination.

Pourquoi cette peine à creuser le ciel
Où repeindre exprès les bouches de miel
S'ils exercent tant de fascination?

Plaidoirie pour une déesse déchue

Dans les méandres de la jalousie,
à travers une véranda de malice,
elle désigne sa prochaine victime.
Vénus, idole sarcastique
en marbre de nos âmes complices.
Vénus, énigme de tous les temps
Incrustée sur le socle de la virginité.

Qui a dit qu’elle tuait pour le plaisir
d’aimer ?
Aimer et mourir.
Qui a dit qu’elle tuait pour le peu de dignité
qu’avait éjaculé l’amour
dans le bassin de l’orgie ?
Amour et désir.

Sur la tête de la mythologie,
Vénus était un diadème
veule et féroce
comme le phénix de l’oubli.

Les caprices de Vénus,
Poussière pour les regards des anges,
Se glissent machinalement
entre les prières du phallus.

Les rires de Vénus,
tatouages déguisés sur les joues des flammes,
chaos universel pour une féminité sans issue.
Les rires de Vénus,
sublimes métaphores pour l’innocence de l’eau,
brûlent dans l’embrasure du frisson
et quittent le brouhaha du ciel.

Les misères des Dieux,
folies en soutane d’orgueil,
se déchaînent sur Vénus toute en pleurs.
Pourquoi devrait-elle payer la dot d’une union
sacrée ou profane
entre l’humain et le surhumain ?

Le retour de Godot

Dans les abysses de la nudité,
Indécis comme un pèlerin damné,
Il marche tout seul au fil des années
Derrière les cris de la surdité.

De lui, prophète de l'absurdité,
Saint Immortel à la peau basanée
Que le remords a toujours condamné,
S'exhale une odeur de timidité.

Ce soir, par un bruit doux et surprenant,
S'annoncera le retour imminent
D'une légende au goût de l'amertume.

Et le rideau tombera sur Godot,
Manteau pour un acteur au large dos
Qui joue sur une scène de bitume.

A la mémoire du grand Samuel Beckett

Dépaysement

Moi je suis un livre enterré debout
dans le silence d'une bibliothèque
et toi les vieilles pages.
Quand m'ouvriras-tu, ô vent de liberté,
pour que les mot neigent à nouveau?

Les saisons du dépaysement,
fugues amoureuses au bout de l'insomnie,
ne se rappellent plus le râle du retour
dans le linceul du sens,
ni les nattes de la patience
où se racornit une flamme invisible
au bâillement des larmes.

La poésie et la séparation,
sosies en quête de bonheur,
naissent, côte à côte, de la nudité des blessures
et des regards de nostalgie
qui surplombent les yeux endormis de l'inspiration.

La destinée de mille et un livre
s'égrène doucement dans le frisson des mots.
Mais ma destinée, ma propre destinée,
celle qui se cache derrière le mur de l'absence,
lègue mon identité aux feuilles d'automne.

De le cendre de cette identité,
veuve d'une histoire en sursis,
se lève une époque subversive
et ronge la tyrannie de la bibliothèque.

Bienvenue

Les joues du soleil
rougissent de honte à l'horizon
qui les embrasse tendrement.

Bienvenue au coucher!

Les poèmes d'amour
sucrent le café du poète
et réveillent sa plume.

Bienvenue à l'inspiration!

La cendre de l'alphabet
ne se souvient plus de l'incendie des mots
dans le gosier du soir.

Bienvenue au requiem du blanc!

La nuit est le placenta de la poésie,
les blessures, semailles de la nuit
dans les champs de l'oubli.

Bienvenue à l'élévation!

Le vent ordonne aux arbres:
- Effacez vos noms des feuilles mortes!
Mais les arbres lui font des grimaces.

Bienvenue au refus!

Le nomade

Le soleil nocturne
surprend mes pas
sur la route enceinte
d'étranges étrangers taciturnes.

Mon inconscient,
courbé de fatigue,
associe en symbiose
son deuil à celui du coeur impatient.

Je suis né nomade!
comme l'air
qui vibre au rythme du néant
mais que la parade
ne reconnaît guère.

Je suis né nomade!
comme la mer
qui se prosterne au sable malséant
mais que la sérénade
ne chante guère.

Je suis né nomade!
comme la terre
qui résiste au temps mécréant
mais que la palissade
ne supporte guère.

Je suis l'air,
la mer et la terre;
je suis une anecdote
sans itinéraire.

Si je marche,
c'est la lumière des voitures
qui m'absorbe,
si je cours
c'est la file des montures
qui me résorbe.

Si je ris,
c'est la relique de l'usure
qui m'affole,
et si je pleure
c'est l'ambre de la bonne augure
qui me console.

Pourquoi suis-je venu?

Idylle

Je suis l'art, la beauté qui s'empare des yeux,
Un baiser sur les joues et un bouquet de fleurs.
Je suis l'ardeur sentie par tous les coeurs en pleurs,
La passion, la vie, le berceau majestueux.

Ô pauvres amoureux! Quand je vous envahis,
Le sommeil vous quitte sans jamais revenir
Et d'amour brûler vous font tous les souvenirs,
Soudain en un clin d'oeil, dans un regard trahi.

Quand le ciel sombre, par le ramage fin
Des oiseaux réveillent la brume du matin,
Et les nuages gris où ruissellent les maux,

Implorent le soleil humblement, les sapins
Et les cèdres caducs; quand meurent les roseaux,
C'est l'amour qui gémit au fond des coeurs humains.

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