Par Dominique Guiou

Par Dominique GuiouLe journalisme littéraire est soumis à certaines lois qui n'ont qu'un lointain rapport avec la littérature. Être le premier à parler des livres dont tout le monde parlera est une des règles d'or d'un métier où la vitesse est devenue une valeur aussi importante que dans les compétitions de Formule 1.

C'est ainsi qu'en cet automne les médias vont se livrer à une course effrénée pour présenter les nouvelles publications de Modiano, Echenoz, Sollers, Assouline, Ben Jelloun, Claudel et Pivot. Des écrivains très éloignés les uns des autres, ayant en commun une très bonne cote auprès du public, et qui se retrouvent en compétition par le hasard du calendrier.

Ces vedettes de la plume vont occuper le terrain. Il est à parier qu'on les verra partout. Dans la presse écrite bien sûr, mais aussi à la radio et à la télé, où les animateurs rêvent de recevoir dans leurs émissions ces monstres sacrés. Question de prestige plus encore que d'Audimat: une Lady Gaga fera certes toujours plus d'audience qu'un romancier. Mais un Pivot ou un Sollers ont d'autres arguments: les bons mots et l'érudition.

Les livres de ces vedettes de la plume ne sont pas encore sur les tables des libraires que, déjà, les ténors de la critique nous somment de les lire. Plus de dix jours avant leur mise en vente, des articles ont été publiés sur les romans d'Echenoz et de Modiano: «Une œuvre totalement maîtrisée», lit-on dans un hebdo sur le premier, alors que le mot «envoûtement» est lâché à propos du second.

«Statue du commandeur»

Une telle exposition médiatique finit par fausser la perception que nous avons de ces auteurs. Qui oserait critiquer ces éternels premiers de la classe, au talent reconnu par tous depuis des décennies, récompensés par les prix les plus prestigieux, plébiscités par un public qui répond toujours présent à chaque parution?

Le vingt-septième roman de Modiano a toutes les raisons d'être aussi réussi que le vingt-sixième, qui lui-même tenait son rang par rapport au précédent… Depuis La Place de l'étoile, paru en 1968 - quarante-quatre ans, comme le temps passe -, l'écrivain n'a pas changé. Il ne changera jamais. On l'aime aussi pour ça. On est avec lui en terrain connu. On le lit parce qu'on l'a lu, tout au plaisir de reconnaître dès les premières phrases un décor et une petite musique.

D'autres, bien que très populaires, n'ont pas acquis ce côté «statue du commandeur». Philippe Claudel et Tahar Ben Jelloun, tous deux membres de l'académie Goncourt, viennent d'en faire la cuisante expérience. Leur appartenance au prestigieux jury a joué contre eux. Un hebdomadaire a mis en pièces leurs romans dans deux articles réunis sous le titre «Goncourt de clichés». Mais, en règle générale, rares sont ceux qui s'avisent d'étriller les personnalités en vue. Les écrivains membres d'institutions prestigieuses et puissantes comme l'académie Goncourt ou l'Académie française sont le plus souvent protégés par leur statut social. Siéger dans un jury qui délivre des prix enviés garantit une sorte d'impunité critique. Celle-ci se voit redoublée quand ces mêmes écrivains disposent, comme c'est le cas de la plupart d'entre eux, de tribunes dans la presse (feuilletons littéraires, blogs, chroniques dans des émissions de télé…). Qui, dès lors, s'étonnera de constater une corrélation entre l'emballement médiatique dont ces auteurs font l'objet et l'influence qu'ils ont dans le monde des lettres?

lefigaro.fr

Read More: