Par Salim Jay

Elias SanbarPour lire au plus près de ce qui nous y est dit le nouvel ouvrage d’Elias Sanbar au titre tellement explicite Dictionnaire amoureux de la Palestine (Plon, 2010), rien de tel que de réécouter au préalable le récital de Mahmoud Darwich donné le 7 octobre 2007 à l’Odeon-Théâtre de l’Europe par le poète avec Didier Sandre, Samir Joubran et Wassam Joubran.

En arabe et en français, en musique et dans l’écoute du silence entre les vers, ce récital dont l’enregistrement est paru sur CD en 2009 aux éditions Actes Sud, est la meilleure introduction qui se puise imaginer au Dictionnaire amoureux de la Palestine  qu’Elias Sanbar a comme écrit à quatre mains, étreignant de mémoire, si l’on ose dire, les mains du poète et rendant compte avec humour, de cet amour lancinant, entêtant que ravive la problématique de l’exil.

La Palestine comme métaphore ? Pas seulement, certes, car il faut la voir comme pays et comme paysage. Sanbar décrit donc “ l’espace palestinien (…) qui constitue une entité humaine et géographique, une société, largement comparable aux sociétés arabes voisines. Un monde citadin, un autre rural sédentaire, un troisième bédouin, tous marqués par une forte emprise des réseaux d’alliances claniques et familiales, y vivent et s’y développent dans un décor “binaire“ fait de deux “ entités“, une montagne et une côte, deux lacs et une mer.“

C’est le paysage palestinien d’avant qu’en 1948, les Palestiniens ne soient jetés sur les routes de l’exil, ce paysage, ce corps géographique que décrira Mahmoud Darwich  dans un poème :“ Ils sont rentrés aux confins de leur obsession, à la géographie  de la magie divine, au tapis de feuilles de bananier dans la terre des tracés anciens./ Une montagne sur la mer, / derrière les souvenirs deux lacs,/ un littoral pour les Prophètes / et une rue pour les parfums de l’oranger.“

Elias Sanbar qui dirigea la Revue d’Etudes Palestiniennes publiée aux éditions de Minuit durant de nombreuses années n’a pas écrit le dictionnaire d’un politologue ou d’un pamphlétaire. Les analyses historiques et politiques sont présentes et actives, animées par l’intelligence des situations, la connaissance des drames, le sens de la mesure et la conscience de la démesure. Sanbar aime réfléchir et donner à réfléchir comme il l’a montré dans des ouvrages tous consacrés à l’histoire de son peuple depuis Le Bien des Absents  (Actes Sud, 2001) jusqu’à Figures du Palestinien, Identité des origines, identité du devenir  (Gallimard, 2004)

L’humour ? Ici, par exemple, lorsque Sanbar écrit : “ on rencontre aujourd’hui nombre de Palestiniens, qui, outre la quasi-totalité des langues occidentales dominantes, maîtrisent, liste non exhaustive, les langues balkaniques, celles de l’Asie centrale, l’islandais, le finlandais, le hindi, le croate, le slovaque, des dialectes africains et ainsi de suite… Mais rien n’y fait puisque vos interlocuteurs diront invariablement B dès qu’apparaîtra un P et que vous entendrez toujours des :“ Balestine est au cœur du broblème israélo-arabe  et nous luttons pour notre indébendance.“

Et Sanbar qui est aujourd’hui ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco d’ajouter plus loin : “ la Palestine Broadcasting Corporation   (PBC) n’a-t-elle pas pris pour sigle acronyme BBC, et fièrement imprimé ce dernier sur tous ses documents ?“

L’un des plus beaux poèmes de Mahmoud Darwich  s’intitule Passeport  , si bien qu’aucun lecteur du Dictionnaire amoureux de la Palestine  ne l’oubliera en lisant l’entrée Frontières et passeports. Auparavant, on aura lu le poème que Darwich dit sous les applaudissements, un 14 juillet, dans le théâtre romain de la ville d’Arles : “ Nous serons un peuple lorsque la police des mœurs protégera la prostituée et la femme adultère contre les bastonnades dans les rues. / (…) Nous serons un peuple lorsque le chanteur sera autorisé à psalmodier un verset de la Sourate du Rahman dans un mariage mixte./ Nous serons un peuple lorsque nous respecterons la justesse et que nous respecterons l’erreur.“ Le Dictionnaire amoureux de la Palestine  que signe Elias Sanbar et qu’il a écrit, entre verbe et vertige comme eût dit le poète Alain Bosquet, résulte de toutes les sources et ressources venues des immenses lectures mais aussi des grandes amitiés d’Elias Sanbar. Et n’oubliez pas cette phrase, dans le Dictionnaire amoureux de la Palestine :“ Nous savons, nous qui connaissons les nôtres, l’immense peine des parents des deux bords…“.

http://www.lesoir-echos.com

Read More: