Hassan Teleb

Traduction de
Suzanne Lackany

Voici ta croix mon frère
Alors dessine-la
Ou — si tu le désires — ne la dessine pas
Exprime mon frère la religion que tu professes
Ou tais-la
Mais ne discute pas de ce que s’il est dit
Tu ne le comprends pas

Dessine ta croix
S’il est nécessaire de dessiner la croix
Et si cela te concerne
L’idée de ton frère sur toi
A toi … alors sache-le :
La croix c’est toi et moi … Oui
Si tu me crois vraiment
Sinon prends une position verticale
Et tiens-toi debout et fais en sorte que tes bras
S’étendent latéralement
Et redresse-toi tu deviens une croix humaine

S’il faut dessiner la croix maintenant
Alors dessine sur mon corps
Et si c’était entre mes mains
J’aurais édifié un lieu de culte
Qui réunit les religions dans mon pays
Et à côté de cette église se trouve un monastère
Près d’une mosquée ou d’un temple
Peut-être épousera-t-elle un de ses voisins
En une scène !

Et peut-être qui sait
La religion et les hommes pieux seront-ils
Pareils à cela demain

Pourquoi la religion ne serait-elle pas à Dieu son révélateur
Et tous pour la patrie !
Et comment ne pas rechercher
Ce que — si nous voulons — nous pouvons !

Si j’y pouvais quelque chose
J’aurais dit : Dessine ta croix mon frère
Et hausse l’appel à la prière de l’aube dans le mihrab
Et mets-toi à la prière exaucée
De ces croyants-là :
De ces croyances-là ou les gens du Livre
Et dis : supposez que je suis Abou-Mahzoura Al-Qorachi
Ou même Bilal l’Abyssin
Pour que le doute ne tue pas la certitude
Et que s’apaise la colère du fanatique salafiste

Allez, dessine une croix
Dans laquelle la ligne verticale du mensonge
Est coupée par son opposée l’horizontale
Afin que tu résumes la foi en deux lignes
Pour les sceptiques

Dessine une croix lumineuse et ronde
Comme le croissant
Mais attention
N’associe pas ta croix ou ton croissant
A la querelle

Dessine une croix en imagination
Que seul tu vois
Puis avec le doigt écris-la :
Marque sur le front
Un signe furtif
De haut en bas
Puis de gauche à droite

Dessine une croix
Tu peux avec le mystère du Saint-Esprit en elle
Distinguer le visage de César
Du masque de Dieu
Puis tu sépares l’ici-bas de la religion
L’ange de l’être humain
Et l’imagination de la possession de la réalité
Accompagne-moi au vaisseau de l’église ô mon ami
Comme hier je t’ai accompagné
Vers la cour de la mosquée

Bois et verse-moi à boire du nectar du mystère des mystères
Et évoque-moi le vin des baptisés
Fais-moi écouter les psaumes de la prière
Répète à mes oreilles les cantiques des religieuses
Et le chœur des chansons des filles
Avec les garçons
Dessine et représente-moi la splendeur des Marie
Et viens rappelle-moi
Ce qui a été dit dans les Livres saints
Autour de la trahison des corps envers les âmes

Réjouis-moi avec Jean le bien-aimé
Et ce que les livres ont répété sur lui
Verse-moi à boire et bois
Et assouvis-moi de civilité
Répète les paroles de Matthieu
Et évertue-toi dans l’interprétation des rêves des apôtres
Parle-moi du martyre de Barnabé

Et puise dans la vie du louable
Jean le pilier
Et chante les louanges du glorifié Jean la bouche d’or
Je t’ai prié :
Dote-moi des trésors de sa sublimité :
Jean Saba
Et le Damascène qui a vénéré les images
Verse-moi à boire et bois
Et dis-moi puis représente-moi
Car mes semblables aiment les premières lueurs de l’aurore

Désaltère-moi avec cette amphore antique
Et ô mon frère
Si tu oublies n’oublie pas les tourments de l’âme
Et la léthargie qui a envahi les cinq sens
Et la soif que tu sais
Alors bois et verse-moi à boire

Et dessine une croix pareille à un croissant
Et garde-la libre devant ceux qui passent
Là-bas au méridien
Et fais-moi durer

Et dessine … et laisse-la régner aux frontières
Avec sa forme première et nouvelle
Qui la distingue des autres formes
Garde-la libre pour qu’elle s’incline à droite

Ou à gauche
Pour que s’éclairent à sa lumière ceux qui passent
A elle ils appartiennent 

Dessine et dote-moi de l’enchantement licite
Et guéris-moi avec les mosquées idéales
Le moment de ma confession est arrivé
J’ai sali mon âme avec le péché
O Saint-Père purifie-moi
Je me suis livré à la tentation
Ce qui devait arriver est arrivé
Et le diable m’a cerné
Alors fils de mon père possède-moi

Et dessine une croix puis laisse-la moi
Pour y chercher le salut et y gagner le bien
Laisse-moi mon frère me sauver avec ta croix écrite
Et dessine une autre

Et viens tisser sur le chemin nos toiles
D’un peu de ces fils ou de ce filage
Peut-être attraperons-nous un miracle
Qui emportera tous les miracles
Avec leur Messie et leur croix
Qui s’élève sur toutes les conditions
Pour que nous retournions toutes les créatures
A l’innocence de l’existence première
Nous ferons revenir la félicité d’avant la chute
En ce temps-là la paix était sa voie et l’amour la nourriture de ses cœurs
Et peut-être qui sait
Le monstre qui est à l’intérieur de l’être humain changerait de but
Ses canines cesseront de répandre le sang
Et l’animal dans les forêts changerait ses habitudes
Et les oiseaux et les insectes leur comportement
Alors dessine une croix et nomme-la : le fantôme de la vérité
Lorsque tombe l’ombre de son crucifiant sur son crucifié
Alors fondra sa chandelle et s’évanouira son rayon
Et apparaîtra son mensonge pour embraser la méchanceté d’un combat
La vérité se détourne de son vaincu
Et dessine une croix d’un assemblage de verre
Qui est un miroir pour ceux qui viennent
Des générations et des foules
Ou un astre qui illumine
Un signe aux caravanes des pèlerins
Puis répands dessus des fleurs
Ou recouvre-la de sang
Et dis : c’est un symbole d’oraison funèbre au fil des époques
Pour les meilleurs des crucifiés qui sont morts sur elle :
Jésus et Al-Hallag

Alors crée une croix et considère-la une boussole
Afin que tu détermines ce qui est juste — ou injuste — grâce à elle
Mais — si tu es forcé — franchis la limite
Qui court vers toi
Si tu peux répondre, réponds
Et ne tends pas la joue aux criminels

Fais ta croix
Il n’importe pas d’or pur
Ou d’argent
Ou de fer-blanc
Dessine une croix qui occupe le vaste horizon
Et arrête-toi à ta place et attends
Aussi longtemps que tu attendras
Le dessin ne fera pas revenir Jésus !
Et ô mon frère
Si tu ressens la fatigue
Repose-toi
Laisse ce que tu as fait et dis-lui :
Tu n’es — n’eut été nous —
Que de pures traverses de bois qui se sont croisées
Simplement deux morceaux de bois fendus ! 

Repose-toi si tu veux
Ou crée une autre croix
Crée-la
Et varie les formes
Peins-la ou rends la carrée
Ou monte-la de pierres précieuses
Et ornemente-la de jaspe

(…)

Hassan Teleb
Né en décembre 1944 à Sohag (Haute-Egypte), Hassan Teleb est diplômé en philosophie de l’Université du Caire. Il est actuellement professeur de philosophie à la faculté des lettres de l’Université de Hélouan. Il a publié sept recueils de poèmes, le premier était intitulé Wachm ala nahday fatah (tatouages sur les seins d’une fille, éditions Oussama). Le dernier en date a été publié en 2002 par le Haut Conseil de la culture sous le titre Mawaqef Abi-Ali, wa rassaeloh wa aghanih (illuminations d’Abou-Ali, ses lettres et ses chansons). Il a également publié deux essais philosophiques, à savoir Al-Moqaddass wal gamil (le sacré et le beau) et Asl al-falsafa (l’essence de la philosophie). Depuis 1991, il est rédacteur en chef adjoint du mensuel Ibdaa (création). Et a reçu en 1995 le prix de poésie Cavafis décerné en Grèce. Des extraits de sa poésie ont été traduits vers le français et publiés dans la revue Action poétique.

Al- Ahram Hebdo, 23 avril, 2008

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