Les textes de Nadia Ghalem sont parmi les meilleurs de ces dernières années bien qu’elle demeure inconnue du public algérien. Née à Oran et établie au Canada depuis plus d’une trentaine d’années, Nadia Ghalem est d’une grande richesse littéraire, auteure de romans, de livres pour jeunesse, de poésies, de scénarios. Lauréate de plusieurs prix et membre actif dans plusieurs associations. Elle s’exprime ici pour la première fois dans un quotidien algérien.

Liberté : Vous avez un parcours très riche et vous débordez d’énergie entre écriture, voyages, mouvement associatif et autre. Mais qui est donc Nadia Ghalem ?
Nadia Ghalem : Honnêtement, je ne sais pas. Je peux dire de façon banale qu’il est toujours difficile de se définir soi-même. J’ai l’impression d’être comme tout le monde… Je ne pense pas nécessairement à moi mais au monde dans lequel on vit et surtout au futur. J’aime ce mot de Nelson Mandela : “Aucune nation n’a d’avenir si elle ne forme pas sa jeunesse. Le pilier de la société, c’est l’éducation”… Les Algériens ont fait cet effort depuis l’indépendance de rendre l’éducation accessible. Il faut qu’on nous permette de bâtir un monde meilleur pour les prochaines générations. Par exemple, je rêve du jour où les États (et pas seulement l’Algérie) créeront des “comités interministériels” de lutte contre la pauvreté. Même dans les pays riches, il y a des familles pauvres. C’est un fléau qu’il faut combattre pour lutter contre cette forme de violence et donner le plus de chances possibles aux nouvelles générations.

Comment se fait-il que vous soyez auteur de romans, de recueils de poésie, de livres pour jeunesse sans compter vos autres activités culturelles, ce qui n’est pas rien, et que le public algérien ne vous connaisse pas ?
Pour moi, écrire c’est explorer des espaces de liberté, imaginer des mondes et des personnages. C’est une démarche en soi et c’est peut-être mieux de ne pas être trop connue, ça permet de se sentir libre de ne pas faire ce que les gens attendent de nous et de risquer de les décevoir.

Comment est né votre rapport fusionnel avec l’écriture ? Par la tenue d’un journal intime, par la rédaction dans le petit journal du lycée ?
Mais non, simplement parce que dès que j’ai su écrire, les gens autour de moi, des voisines, par exemple, me demandaient de rédiger des lettres pour elles. Je devais avoir 9 ou 10 ans. Elles étaient analphabètes, elles comptaient sur l’enfant que j’étais pour rester en contact avec leur famille lointaine ou communiquer avec l’administration. Je suis fière d’avoir fait ce “travail”, c’était motivant. C’était le début de la fascination.

Pourquoi avoir choisi de vous installer au Canada qui, je suppose, dans les années 1960 était une véritable aventure ?
Nous avions beaucoup voyagé en Europe, en Afrique, ma famille et moi, et le Canada en 1965, n’était qu’une escale. La suite relève du destin.

Qu’est-ce qui pousse une jeune fille de 20 ans à partir justement à l’aventure ?
J’étais avec des membres de ma famille. Pour moi, nous étions chez nous sur cette planète. Les frontières et les passeports sont une invention humaine plutôt récente en regard de notre présence sur cette planète.

Je dis cela car l’on retrouve cette notion de fuite et d’errance dans vos romans le Jardin de cristal et La villa Désir…
J’avoue que j’ai oublié les détails de ce que j’ai écrit et je ne me relis pas. Ce sont souvent les lecteurs qui m’apprennent des choses que je ne soupçonnais pas ou que j’ai oubliées. Il me semble que c’est davantage une recherche de liberté et de connaissance que de fuite et d’errance… Toute petite, on m’avait appris ce mot de l’Islam : “Cherche la connaissance, fut-elle en Chine.”

Dans la Villa Désir, la narratrice envisage un retour, aspire à ce retour vers des valeurs ancestrales, qui semblent réconfortantes, vous écrivez : “Il manque à mon univers des voix de femmes”, n’est-ce pas un besoin de la terre natale ?
Je crois que je faisais surtout référence à ces merveilleuses femmes de mon enfance qui avaient tant lutté avec courage et ténacité, et qui nous racontaient nos ancêtres et notre culture. J’y pense encore aujourd’hui quand je vois des femmes algériennes ou du Maghreb, en général, conduisant leurs enfants à l’école ou revenant du marché et que j’imagine que leur vie ne doit pas être si facile. Ce sont bien souvent des lutteuses têtues et intelligentes.

Vous considérez vous justement comme un écrivain de l’exil, une thématique chère aux auteurs maghrébins ?
Non, l’exil non. Je me sens partout chez moi. Je suis bien sur ma planète. Je transporte peut-être ma patrie avec moi. Peut-être que ma patrie, c’est l’écriture justement. Je ne cultive pas la tristesse. Le véritable exil, c’est la maladie ou le malheur et même là, il faut arracher à chaque jour une part de beauté pour se consoler. Chaque lever de soleil est une promesse.

Dans Les jardins de cristal, l’on est très frappé par le “verre” ou le “cristal” que vous mettez en mouvement très métaphoriquement, y a-t-il une part d’autobiographie dans ce roman et pourquoi cette hantise du cristal, apparenté à un outil tranchant qui blesse donc… ?
Les explosions.

Dans Les jardin de cristal, La villa Désir et La nuit bleue, vos personnages sont attachants parfois exaspérants mais d’une sensibilité extrême qui luttent sans cesse pour s’en sortir mais pourquoi tant de dualité dans vos textes et cette perpétuelle quête de l’amour, la liberté, la reconnaissance… ?
C’est important de lutter pour s’en sortir non ? Et puis, il me semble que les personnages ne doivent pas laisser indifférent, ils sont faits pour porter nos qualités et nos travers de façon exagérée que l’on soit auteur ou lecteur. En fait, la chance, ce serait d’élaborer des personnages comme Shéhérazade, Kaïs et Leïla, Antar et Abla ou Anna Karénine, Emma Bovary, Othello, Don quichotte, bref de vrais personnages si présents qu’on en oublie l’auteur. Mais ça demande du génie et du travail. Alors…

Chafia, Selma, Nora, Ania, sont porteuses d’une fermentation nouvelle même si l’on frôle avec elle la folie, la mort, l’errance, l’enfermement, l’obsession… Comment définissez-vous vos personnages ?
Ils sont un peu fous, c’est vrai, tant pis pour eux. J’aurais aimé décrire des personnages comiques, mais je n’ai pas ce talent.

Comment définissez-vous, votre écriture ? Et à quelle appartenance vous revendiquez vous ?
Aucune, en tout cas pas consciemment, j’aime me sentir libre. Je m’abreuve à toutes sortes d’écrits. J’adore Kateb Yacine que je relis souvent, il y a aussi Assia Djebbar et aussi chez les Marocains les ouvrages de Tahar Benjelloun et le merveilleux Abdellatif Laâbi, du côté Tunisien, c’est Souâd Guellouz que je connais. Mais c’est injuste de ne pas les nommer tous. Les auteurs Maghrébins ont “révolutionné” la littérature française. Ils y ont apporté un imaginaire et une expression différents, originaux. C’est une littérature qui n’est pas toujours individualiste, qui prend en compte un destin collectif, un devenir social. Il y a aussi la littérature de l’Afrique subsaharienne qui relève de l’épopée et qui, contrairement à ce que l’on pense ne nous, est pas tout à fait étrangère, de même que le souffle poétique de poètes arabes comme le Syro-Libanais Adonis. Vous savez, on trouve même des traces de poésie persane dans notre culture traditionnelle…

Lisez-vous les auteurs algériens et algériennes surtout… ?
Ces dernières années, follement et je me sens coupable de ne pas les connaître tous. Chaque fois que je vais en France, je rapporte des quantités de leurs livres. Ceux que j’ai étudiés, je les trouve originaux, courageux, attachants. Malika Mokkedem, Leïla Sebbar, ceux qui sont partis trop jeunes et ceux qui auraient mérité un prix Nobel, Assia Djebbar, Mohammed Dib, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri. Je cite de mémoire, il y en a d’autres.

Et quelle lecture faites-vous donc de la littérature algérienne de cette dernière décennie ; surtout qu’il y a eu une profusion de textes et l’apparition de nouveaux auteurs, notamment des femmes ?
Je suis très intéressée, elles sont courageuses, créatrices, elles foncent et c’est bien comme ça. J’essaie le plus possible de les lire toutes et il y a au moins une vingtaine d’années que j’ai fait des recensions de leurs ouvrages. Là, je viens de participer à une anthologie où il est question des femmes et des hommes, bien sûr.

Est-ce que vous pensez que les écrivaines algériennes ont un certain rôle à jouer, qu’elles devraient être engagées, qu’elles peuvent contribuer aux changements des mentalités ?
Pour ce qui est de l’engagement, je crois qu’il faut laisser les gens choisir et faire ce qui leur semble le plus proche de leurs aspirations, de leur conscience. Ici, il y a des écrivains qui refusent qu’on les identifie en fonction de leur origine, de leur appartenance “ethnique”. Par ailleurs, il y a un grand écrivain québécois, Réjean Ducharme, qui ne donne ni photo ni entrevue. Tout ce qu’on connaît de lui, c’est son œuvre qui est magistrale.

Que gardez-vous en mémoire le plus, peut-être un souvenir particulier de l’Algérie, très présente dans votre écriture ?
Beaucoup de choses, la couleur du ciel, mais surtout la présence d’un massif de roses jaunes près de l’école maternelle de Saïda où j’ai appris qu’on peut se réjouir en contemplant de la beauté, tout simplement. Un champ de blé avec des coquelicots près de Batna, la cascade, les cerisiers et l’escalier de marbre blanc de Sidi Boumediène près de Tlemcen, les ruines de Tipasa et celles de Timgad qui méritent d’être sauvées parce que cela fait partie de notre héritage. Les montagnes des Aurès et de la Kabylie... Et surtout l’amour inconditionnel de mon grand-père qui m’a faite telle que je suis. Il est mort quand j’avais six ans.

Bibliographie

- Exil, poésie, Lion d’or 1980
- Les Jardins de cristal, roman, HMH, 1981. Finaliste pour le prix des littératures francophones.
- La Villa Désir, roman, Guérin, 1987. Finaliste pour le prix Guérin littérature.
- L’Oiseau de fer, nouvelles, Naaman, 1981.
- La Nuit bleue, nouvelles,VLB, 1991.
- Le Huron et le Huard, roman jeunesse, éditions du Trécarré, 1993.
- La Rose des sables, roman jeunesse, Éditions Hurtibise, 1995. Prix du Credif-Paris.
- L’Ombre du soleil, scénario, 1993

Liberté 1er mars 2006 

Nassira Belloula

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