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Catherine Lucas

Catherine LucasIl est injuste de juger un poète sur ses convictions politiques, c'est pourtant le sort qui a été réservé à Mahmoud Darwish (décédé à Houston le 9 août 2008). Sa vie comme son œuvre sont étroitement liées à l'histoire du peuple palestinien.

Tout a commencé dans son village natal. Darwish est né il y a 67 ans à Al Birwa, un village situé à sept kilomètres à l'est d'Akka (St. Jean d'Acre), aujourd'hui le nord d'Israël mais qui conformément au plan de répartition devait faire partie de l'état arabe.

Le 11 juin 1948, jour où l'ONU décrète un cessez-le-feu en Palestine et un mois après la proclamation de l'état d'Israël, l'armée israélienne envahit le village. Al Birwa n'est pas en mesure d'opposer une résistance armée. Seuls 40 hommes possèdent un fusil et il n'y a qu'une mitrailleuse dans le village.

La plupart des habitants prennent la fuite. Darwish raconte : « J'avais six ans. Je me souviens surtout de notre fuite, nous nous sommes d'abord abrités sous les oliviers, puis nous avons continué à marcher pour nous réfugier dans les montagnes. Mes pieds étaient en sang. Après avoir marché toute une nuit, notre famille est arrivée terrorisée, en sang, en sueur et mourrant de soif dans un pays appelé le Liban.» La plupart des villageois se retrouveront plus tard dans le camp de Shatilla, à Beyrouth, aujourd'hui tristement célèbre pour le massacre qui y fut organisé sous la responsabilité d'Ariel Sharon.

L'état d'Israël déclare al Birwa zone militaire fermée, rase le village avec des bulldozers et y fonde le kibboutz Ahihud.

La famille Darwish décide de rentrer clandestinement et s'installe à Judaida, un village voisin où la mère de Darwish vit toujours. Ils deviennent ce que l'on appellera les «présents-absents». Présents physiquement en Israël mais absents juridiquement, n'ayant pas le droit de réclamer leur terre, des réfugiés internes sans aucun droit.

Mahmoud Darwish fréquentera l'école du village voisin Kafr Yasif et rejoindra plus tard le Parti communiste israélien. Il publiera ses premiers recueils de poèmes en arabe en Galilée. Il devient rédacteur en chef de la revue hebdomadaire du Parti communiste, Al Jadid (Le Nouveau) et milite aux côtés d'al Ard, premier groupe nationaliste en Israël.

Il sera plusieurs fois arrêté et emprisonné, en 1961, 1965 et 1967 et sera assigné à résidence à Haifa. Las des persécutions, il quitte le pays et part travailler pour l'OLP, où il devient une sorte de ministre de la culture non officiel.

Le célèbre chanteur libanais, Marcel Khalife a mis en musique plusieurs poèmes de Darwish, en particulier ceux publiés dans les années 1960. Certains sont devenus des classiques : «Oiseaux de Galilée», «Rita» et «Ma Mère» (Ila Oummi) dont voici un extrait :

«J'ai la nostalgie du pain de ma mère,
Du café de ma mère,
Des caresses de ma mère...
Et l'enfance grandit en moi,
Jour après jour,
Et je chéris ma vie, car
Si je mourais,
J'aurais honte des larmes de ma mère !

Fais de moi, si je rentre un jour,
Une ombrelle pour tes paupières.
Recouvre mes os de cette herbe...»

En 1995, Marcel Khalife reprendra sur son album, "The Arabic Coffeepot"," un poème de Darwish, «Oh Père, je suis Yusuf», qui lui vaudra des ennuis. Il est question de Joseph du coran (et de la bible) vendu par ses frères avec le peuple palestinien. Dans le texte, il cite un verset du coran de la sourate Yusuf. La plus haute juridiction sunnite au Liban, Dar al Fatwa, qualifie la chanson de blasphème et d'insulte à l'islam et intente contre le chanteur un procès qui, heureusement, finira en queue de poisson.

En 1988, Mahmoud Darwish est nommé ministre de la culture de l'OLP. En cette qualité, il élabore la Déclaration d'indépendance (c'est la première fois qu'un état palestinien est proclamé), mais cela restera lettre morte. Cette même année, il écrit le poème, Passants parmi des paroles passagères. C'était en juin, quatre mois après le début de la première intifada. A la tribune de la Knesset, le premier ministre de l'époque, Itzak Shamir, déclare au parlement que «le poème est l'expression exacte des objectifs recherchés par les bandes d'assassins organisées sous le paravent de l'OLP. Je pourrais vous lire ce stupide poème mais je ne le ferai pas, je ne veux pas qu'il se retrouve dans les annales de notre Knesset, je ne lui concéderai pas cet honneur...»

Voici un extrait de ce poème :

« Vous qui passez parmi les paroles passagères,
Vous fournissez l'épée, nous fournissons le sang.
Vous fournissez l'acier et le feu, nous fournissons la chair.
Vous fournissez un autre char, nous fournissons les pierres.
Vous fournissez les bombes lacrymogènes, nous fournissons la pluie.
Mais le ciel et l'air
Sont les mêmes pour vous et pour nous.
Alors prenez votre lot de notre sang et partez.
Allez dîner, festoyer et danser, puis partez,
A nous de garder les roses des martyrs
A nous de vivre comme nous le voulons...
Vous qui passez parmi les paroles passagères,
Il est temps que vous partiez
Et que vous vous fixiez où bon vous semble,
Mais ne vous fixez pas parmi nous.
Il est temps que vous partiez
Que vous mouriez où bon vous semble,
Mais ne mourez pas parmi nous... »

Après les accords d'Oslo, Darwish démissionne de son poste de ministre et rompt avec l'OLP. Il quitte également Paris, où il vivait en exil et s'installe à Ramallah.

En 2000, le ministre israélien de l'éducation Yossi Sarid (colombe de la paix) propose l'insertion de quelques poèmes de Darwish dans le programme de littérature officiel mais le premier ministre de l'époque Ehud Barak rejette la proposition.

L'an dernier, Mahmoud Darwish a rédigé un poème sur la guerre fratricide entre le Fatah et le Hamas, qu'il qualifiait de «tentative de suicide publique en pleine rue».

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