Khaled Mattawa

Khaled MattawaL’année où j’ai partagé la chambre avec elle
J’ai demandé à ma sœur qu’elle me permette
De sentir ses cheveux en y laissant louvoyer mes doigts.
Ils sont longs, noirs
Et brillants comme un piano neuf
Elle a peigné les miens
Et m’a dit que j’étais plus tendre qu’une fille.
Un après-midi, nous avons pris une photo
Et elle l’a montrée à ses amis
Leur disant qu’elle était fille d'Haroon al Rachide
Et moi son esclave
Cadeau de Charlemagne
En échange d’une horloge. Elle m’a dit que
J’étais un ange descendu avec Gabriel
Pour apprendre Salomon à parler
Avec les rossignols.
Mais j’ai refusé de revenir au paradis
Parce que je suis tombé amoureux d’elle, la reine de Saba
Elle a dit que j’étais Joseph
Et elle l’épouse d'al Azziz
Qu’elle a préservé ma beauté
Avec une potion achetée
Au magicien qui momifia le roi Tut.
 
Au jour de son mariage
Ma sœur a embrassé ma joue
Et m’a supplié de ne pas grandir
Hier, j’ai parlé avec elle
Au téléphone. Elle a dit
Avoir montré la photo
À ses enfants leur disant
Que je m’étais enfui sur un bateau
Pour Marseille. Et de là-bas
Je fus envoyé au tribunal
De Ferdinand et d’Isabelle
Ils m’ont donné à Colomb
Qui m’a vendu aux Indiens pour de l’or
Mais les Indiens n’avaient de moi aucun usage
Ils n'avaient besoin ni d’anges ni d’esclaves.
Elle leur a dit que je vis aujourd’hui dans une rue
Où il y a 22 églises et synagogues.
Sur le boulevard de Rossville
J’ai mis mes ailes en gage pour de l’argent
Et je tiens une épicerie
Où des femmes noires et pauvres font leurs achats
En me payant de mots doux.

Traduit de l’arabe par A. K. El Janabi et Mona Huerta

 Poète de langue anglaise et traducteur de poésie arabe en anglais, Khaled Mattawa est né en Libye en 1964. À l’âge de quinze ans, il émigre aux États-Unis où il vit et travaille aujourd’hui. Dans son recueil de poèmes L’Éclipse d’Ismailia, publié en 1996, les faits biographiques et les contes mythologiques de l’Orient se mêlent en une magie vertigineuse.

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